La réserve parlementaire...un bien bel article du journal "sud - ouest" sur une gars qui ne lache pas le morceau !
Le « petit prof de maths » a eu raison d’un des secrets les mieux gardés de la République : la réserve parlementaire
Ce jour-là, Hervé Lebreton, 43 ans, était à Tours, chez ses parents. Avec un après-midi à tuer, d'autres auraient sans doute opté pour une balade. « Je suis passé à la mairie voir comment ils classaient les délibérations. » Il sourit : « Il manquait les indemnités des élus. J'ai dit à la secrétaire : “Vous êtes obligée !”»
Prise de panique, la fonctionnaire lui présente un bordereau issu d'un fichier informatique… du ministère de l'Intérieur. Il en a les yeux qui brillent : « J'ai ainsi découvert qu'il existe un fichier qui centralise toutes les délibérations et les budgets des collectivités. Je me suis dit : “Celui-là, je vais me le faire ! On pourrait le rendre public et consolider toutes les données de dépenses des collectivités.” Bien sûr, on ne veut pas me le communiquer… Je pars pour cinq ans, au moins. »
Il y a quelques années, la propension de ce prof de maths installé à Lacépède, petit village de Lot-et-Garonne, à jouer les Julian Assange n'aurait affolé personne. Il n'en va pas de même aujourd'hui : au sommet de l'état, nul n'ignore plus que ce zèbre-là est extrêmement tenace !
Face à Jérôme Cahuzac
Son fait d'armes ? Avoir pulvérisé en 2013 l'un des secrets les mieux gardés de la République : la réserve parlementaire. Soit une grosse caisse d'environ 150 millions d'euros de subventions que les députés pouvaient orienter à leur guise vers des collectivités locales ou des associations dans l'opacité la plus complète.
« J'ignorais ce qu'était la réserve parlementaire. Un jour, on m'a dit : “Voilà une chose sur laquelle on ne saura jamais rien.” J'ai trouvé incroyable que de l'argent public puisse être distribué sans que les citoyens le sachent. »
Il ne faut pas se fier à son air d'éternel adolescent. Ce faux naïf, fils d'un professeur d'université en physique-chimie et ancien élève de maths sup et maths spé, est méthodique. Rigoureux en diable. Et il apprend vite.
« Au début, c'est sûr qu'on ne m'a pas vu venir. Quand je ne sais pas, je pose des questions. J'ai d'abord questionné l'Assemblée : on m'a envoyé paître. » Puis il s'adresse à son député. Un certain… Jérôme Cahuzac, alors président de la commission des finances. « J'ai demandé vingt fois à être reçu. Il n'a jamais accepté! » Tout comme il n'a jamais voulu, par la suite, dévoiler l'utilisation de sa propre réserve parlementaire.
Mais, à force de patience, l'homme découvre que les listings sont conservés dans les ministères. Dont celui de l'Intérieur. C'est finalement le tribunal administratif de Paris qui enjoindra au ministère de lui communiquer l'ensemble des documents, au bout de deux ans de bataille.
Fiché « sûreté de l'état »
« Je suis intuitif. J'ai une piètre mémoire. J'ai besoin d'éprouver les choses. » Faute d'argent, il constitue son mémoire tout seul en se renseignant sur Internet. « Le jour de l'audience, mon train était bloqué. J'ai failli arriver en retard. Mais j'ai eu le temps d'écouter les avocats adverses. Pour parler au juge, ils donnaient du “Monsieur le président”. J'ai fait pareil. »
Dans la salle, il repère néanmoins un « man in black », signe que les services de renseignement commencent à s'intéresser à lui. « J'ai demandé à voir ma fiche, comme le permet la loi. On m'a dit que c'était impossible, car j'étais dans le fichier “sûreté de l'état”. La Cnil a fait une deuxième demande. Finalement, le classement a été annulé », relève-t-il.
Il faut dire que la livraison des listings de la réserve parlementaire fait son petit effet. Ils révèlent à quel point certains députés bien placés jouent les Pères Noël dans leur circonscription. Un système qui fleure le clientélisme. L'homme se paie même le luxe de les rendre publics… au sein même de l'Assemblée nationale. « C'était la première fois que j'y allais. Ça m'a ému. Pour moi, c'est la maison des citoyens. »
Résultat : depuis son coup d'éclat, chose inimaginable il y a quelques années, le système de la réserve parlementaire a été (un peu) réformé. Chaque député est censé disposer de la même somme. Et le Parlement s'est engagé à rendre les attributions publiques. Pas suffisant pour le pointilleux Hervé Lebreton : « Ce système n'a pas lieu d'être. Ce n'est pas le rôle d'un député de distribuer des subventions », assène-t-il.
Faut-il voir derrière ce souci de la règle que d'aucuns qualifient d'« un peu rigide » un antiparlementarisme primaire ? « Je crois au contraire que le mandat de député est le plus beau qui soit. C'est pour ça que je suis un peu tatillon », explique-t-il. Il a d'ailleurs lui-même tenté de se présenter aux législatives en 2012. « Ce n'est peut-être pas ce que j'ai fait de mieux. Mais j'ai besoin d'expérimenter les choses. Je voulais voir si un simple citoyen pouvait se présenter à des élections nationales sans le soutien d'un parti. Cela devrait être possible. Mais j'ai vite compris que ce n'est pas le cas », déplore celui qui fit moins de… 2 %, non sans avoir gourmandé le CSA et même le préfet après avoir constaté qu'il manquait des panneaux d'affichage.
Militant de la transparence
L'homme n'en était pas à son coup d'essai. À la tête de son association (Pour une démocratie directe), il avait auparavant tenté de ferrailler contre le régime de retraite des parlementaires. Il utilise alors le droit de pétition (un texte méconnu qui permet à chaque citoyen de proposer une loi) pour demander l'alignement des retraites des députés sur le régime général. Avec le succès que l'on peut imaginer…
Comment ce père de deux filles marié à une institutrice s'est-il transformé en militant de la transparence ? « Je me suis réveillé à 40 ans. Je n'étais pas politisé, et ma famille non plus. Je me suis soudain rappelé ce que “citoyen” veut dire. En théorie, on a beaucoup de droits et de pouvoirs. Mais on ne les utilise pas. J'ai fait ma crise de la quarantaine comme ça », plaisante-t-il.
Aujourd'hui, l'association a grossi et compte près de 600 membres. Et lorsqu'il décide de s'attaquer à l'IRFM (les frais des députés, qui ne font l'objet d'aucun justificatif), qu'il soupçonne de servir aux parlementaires pour parfois se constituer un patrimoine immobilier, l'Assemblée se fend dans la foulée d'une réforme de cette indemnité ! Là encore, pas suffisant. « Je ne vois pas pourquoi on adopte des demi-mesures sur des sujets aussi importants. Nous avons recueilli des dizaines de documents », prévient-il. Son association vient d'ailleurs de recevoir l'agrément pour saisir la redoutable (et redoutée) Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Et, sur son bureau, les dossiers s'empilent…