Le Prix Nobel d’économie a été attribué au Français Jean Tirole. Cet ancien élève de Polytechnique - qui est notamment le président et fondateur de l’école d’Economie de Toulouse et qui est aussi professeur invité au MIT - a été récompensé pour son « analyse de la puissance du marché et de la régulation », a annoncé le jury dans un communiqué.
« Jean Tirole est l'un des économistes les plus influents de notre époque. Il est l'auteur de contributions théoriques importantes dans un grand nombre de domaines, mais a surtout clarifié la manière de comprendre et réguler les secteurs comptant quelques entreprises puissantes", a argué celui-ci.
"La meilleure régulation ou politique en matière de concurrence doit (...) être soigneusement adaptée aux conditions spécifiques de chaque secteur. Dans une série d'articles et de livres, Jean Tirole a présenté un cadre général pour concevoir de telles politiques et l'a appliqué à un certain nombre de secteurs, qui vont des télécoms à la banque", a résumé l'Académie royale des sciences.
« Merci beaucoup. Je suis très honoré », a dit Jean Tirole à la Fondation Nobel. « C’est un petit peu intimidant (...). Suivre leur trace est quelque chose de très impressionnant pour moi », a-t-il indiqué sur France Info. « On n'est pas très bon juge de ses propres travaux et donc ce n'est pas quelque chose sur lequel je comptais », a-t-il aussi confié à l'AFP.
« Un marché de l’emploi français catastrophique »
Très sollicité, Jean Tirole a par ailleurs été l’invité dans l’après-midi d’une conférence de presse organisée à la hâte à la Fondation Jean-Jacques Laffont-Toulouse School of Economics, au cours de laquelle il a pris position sur un sujet polémique : l’emploi . « Le marché de l’emploi français est assez catastrophique », a-t-il déclaré. « Je pense qu’il va falloir changer les choses si on veut donner un avenir à nos enfants », a-t-il ajouté. La semaine dernière, le Premier ministre a provoqué un pataquès en estimant que le débat sur le niveau des allocations chômage. Le ministre de l’Economie, Emmanuel Macron a appuyé le chef de gouvernement mais l’Elysée a écarté toute renégociation des règles d’assurance-chômage avant l’expiration, mi-2016, de la convention entrée en vigueur le 1er juillet.
Une réputation mondiale
Agé de 61 ans, ce natif de Troyes n'avait pas attendu l'annonce de Stockholm pour bénéficier d'une réputation mondiale : son CV remplit 24 pages de distinctions, publications et prix en tous genres (prix Claude Levi-Strauss en 2010, prix récompensant le meilleur jeune économiste européen en 1993). Jean Tirole est en particulier l'un des deux seuls économistes à avoir reçu en France une médaille d'or du CNRS, l'autre étant Maurice Allais, également prix Nobel en 1988.
Ses livres (dont « Théorie de l'organisation industrielle », « Game Theory » ...), traduits dans plusieurs langues, sont des références dans les universités du monde entier. Il est l'un des grands spécialistes de la théorie « des jeux », qui décortique les mécanismes à l'oeuvre et les arbitrages derrière les décisions des agents économiques, en faisant appel aussi à la psychologie. Plus concrètement, il s'est penché aussi bien sur la régulation des banques et des télécommunications que sur les émissions de gaz carbonique.
Jean Tirole est moins médiatique que d'autres économistes français souvent jugés « nobélisables et politiquement assimilés à la gauche, comme Thomas Piketty, grand spécialiste des inégalités et de la fiscalité, ou Philippe Aghion, qui avait inspiré le programme du candidat François Hollande. Mais il n'est pas pour autant déconnecté de la vie publique. Il a ainsi fait des propositions plutôt spectaculaires au Conseil d'analyse économique (CAE), un organe chargé de conseiller le Premier ministre, sur le marché de l'emploi.
Jean Tirole invitait ainsi en 2003 à réformer de fond en comble le marché de l'emploi en France, dans un sens libéral, par exemple en créant un « contrat de travail unique » abolissant la distinction CDI/CDD. Ou en instaurant une taxe sur les licenciements, en échange d'allègements de charges et d'une simplification réglementaire pour les entreprises.
Les deux rives de l’Atlantique
Jean Tirole est aussi un précurseur dans son parcours qui réunit les deux rives de l'Atlantique. D'une part, il est un pur produit de l'excellence mathématique des grandes écoles françaises, avec ses diplômes de l'Ecole polytechnique et de l'Ecole nationale des Ponts et Chaussées. D'autre part, il a très tôt compris l'intérêt d'aller se frotter au système universitaire américain, de loin le plus grand pourvoyeur de Nobel d'économie ces dernières années, et où les conditions de recherche sont jugées bien meilleures. Il a en effet, après sa thèse à l'université Paris-Dauphine, effectué un « PhD », l'équivalent américain du doctorat, au MIT.
Il a ensuite enseigné aussi bien à Paris que dans les plus grandes universités américaines : Harvard, Princeton, Stanford.
Interviewé dans Challenges le 9 octobre sur cette domination américaine sur les grandes distinctions en sciences économiques, il reconnaissait : « Elle ne reflète qu'une situation dans laquelle les Etats-Unis ont beaucoup investi pour attirer les meilleurs économistes. Je la regrette énormément, mais en même temps, je ne peux crier au scandale ». Une récente publication du FMI a ainsi établi un classement de 25 jeunes économistes prometteurs, distinguant sept Français... dont six expatriés aux Etats-Unis. Plutôt que de crier au scandale, donc, Jean Tirole s'est employé à sa manière à redorer le blason des sciences économiques en France.
Reprenant le flambeau d'un autre économiste prestigieux, qui selon beaucoup est mort trop tôt pour être lui aussi lauréat du Nobel, Jean-Jacques Laffont, Jean Tirole a mis son prestige au service de l'école toulousaine d'économie (TSE), avec pour ambition de la hisser dans « le top 10 mondial de la recherche en économie ».